jeudi 30 mai 2013

Carmen, arts du langage, de la musique et du spectacle vivant

I) La nouvelle de Prosper Mérimée.

Présentation de l'auteur

  http://fr.wikipedia.org/wiki/Prosper_M%C3%A9rim%C3%A9e

Présentation de l'oeuvre et résumé



Résumé court de geoffrey13

Lors d’une expédition en Andalousie (Espagne), le narrateur va faire connaissance du plus grand brigand du pays, José Navarro. C’est à Courdoue, lorsqu’il le reverra pour le deuxième fois, qu’il apprendra la terrible histoire de cet ancien soldat d’origine basque, prit d’un amour fou pour une bohémienne, Carmen ... C’est lorsqu’elle poignarda une collègue, que Don José fut chargé de l’arrêter et de l’emmener au poste de police.

    Mais en chemin, aveuglé par l’amour qu’il éprouvait à son égard, il la laissa partir. Il fut renvoyé de son poste de soldat et déserta. C’est alors que pour gagner sa vie, Don José devint un contrebandier. Il apprit alors que Carmen était mariée à un autre homme, Garcia le Borgne, qui n’était autre qu’un de ses camarades. Jaloux de cette union, il décida de le tuer afin de récupérer sa douce.

    Après l’avoir recherchée durant plusieurs semaines, il la retrouva dans les bras d’un toréador nommé Lucas. Guidé par le chagrin et la colère, José Navarro la tua et l’enterra dans un bois. Prit de remords, il se rendit à la police et fut condamné à mort sans rémission possible.

Présentation plus complète:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Carmen_(nouvelle)

Etude d'un passage clé : le dénouement (fin du chapitre 3) La mort de Carmen


Situation du passage :
Ce texte se situe à la fin du chapitre III, il s'agit du dénouement de l'histoire de Carmen . Le chapitre IV est une étude sur les bohémiens en Europe sans rapport avec l'intrigue qu'on vient de suivre, il s'agit donc du réel dénouement de la Nouvelle.
Don José a tué Garcia et propose à Carmen un nouveau départ, il l'amène dans un coin isolé. A la page 101, le lecteur est préparé à la violence de ce qui va suivre :
" Carmen, lui dis-je, voulez-vous venir avec moi ?
" Je te suis à la mort, oui, mais je ne vivrai plus avec toi. "

Lecture
Dans une lecture méthodique nous étudierons ce passage comme un meurtre passionnel et donc amoureux, puis nous verrons qu'il s'agit davantage d'un meurtre rituel, sorte de corrida, pour enfin constater que ce dénouement est un aboutissement logique dû aux origines des deux protagonistes.

A) Un meurtre passionnel
L'histoire racontée par Mérimée (utilisant différents enchâssement) est une histoire d'amour, de passion et de mort. Le meurtre auquel on assiste ici est avant un meurtre passionnel, dénouement d'une tragédie amoureuse.
Le texte commence par " nous " qui associe grammaticalement les amants dans un rendez-vous secret : " gorge solitaire ". Ce lieu est un indice, il s'agit du dénouement car le lieu est le même qu'au début (l.27)
La passion amoureuse semble encore présente, Carmen est toujours aussi provocante (s'agit-il d'un rendez-vous amoureux ?)
" ôta sa mantille " (geste identique à celui de la rencontre)l.1687 à 1689
" la jeta à ses pieds "
" poing sur la hanche "
" me regardant fixement "
Ces gestes sont toujours aussi sensuels mais ils participent également au rituel dont on parlera en 2.
Le champ lexical de l'amour est omniprésent :
l.1694 : " Carmen ! ma Carmen ! laisse-moi te sauver et me sauver avec toi. "
l.1696 : " Je ne t'aime plus ; toi tu m'aimes encore " (tout est dit ici)
l.1703 : " Tu aimes donc Lucas ? "
Oui j'ai aimé et 4 fois le verbe + plaire. (lignes 1705 à 1709)
" T'aimer encore " l.1710
Les mots utilisés soulignent le caractère passionnel de la situation : si Don José tue Carmen, c'est parce qu'il l'aime. Lorsqu'elle jette la bague, symbole d'alliance, il la tue.
L'arme du crime est également symbolique, il tue Carmen avec le couteau de Garcia (voir l.1471)
C'est bien le crime passionnel d'un mari trompé ou d'un amant jaloux.
Cependant, d'autres facteurs entrent en jeu pour interpréter cette scène. Nous assistons aussi à un meurtre rituel, une mise à mort préparée depuis longtemps, l'issue fatale était inéluctable.



B) Un meurtre rituel
Les métaphores qui rapprochent cet affrontement ultime à une corrida sont nombreuses :
- la posture de Carmen (l.1687 à 1689)
- l'absence de peur face à la mort , Carmen continue à provoquer Don José même si elle sait qu'il va la tuer. " J'aurais voulu qu'elle eût peur et qu'elle me demanda grâce, mais cette femme était un démon. "
" Je crois encore voir son grand œil noir me regarder fixement " : fait penser au jeu des regards entre le torero et le taureau.
Le coup de grâce : " Je la frappais deux fois " est rendu d'autant plus violent avec une syntaxe très rapide et l'utilisation du passé simple.
Don José n'hésite pas et le récit est brutalement stoppé par ce qui ressemble à une véritable mise à mort :
" Elle tomba au second cou, sans crier "
Carmen ne conteste pas, elle accepte le châtiment car c'est elle qui l'a choisi :
l.1711 : " T'aimer encore, c'est impossible, vivre avec toi je ne le veux pas " Elle choisit donc la mort .
Toute la force du personnage de Carmen, libre de choisir sa mort, prend toute sa dimension ici et malgré la plainte de Don José dans la dernière phrase : " Pauvre enfant ! ", c'est lui qui paraît pitoyable et Carmen qui prend une stature héroïque tragique.
Ce meurtre est cependant également un accomplissement.

C) Un accomplissement
Une opposition fondamentale entre les protagonistes rendait ce dénouement inévitable.
C'est avant tout une opposition ethnologique selon Mérimée. Nous avons déjà souligné l'importance qu'avaient les origines basques de Don José : une liaison avec une femme est pour lui éternelle, jusqu'à la mort. Cette idéologie vient de l'orthodoxie catholique très forte chez les basques.. Cette orthodoxie catholique apparaît dans tout le rituel qui suit le meurtre de Carmen :

- " Je lui creusai une fosse avec mon couteau. " (passage à rapprocher de la volonté frénétique du chevalier Des Grieux à creuser une tombe pour Manon dans Manon Lescaut).
- " Je cherchai longtemps sa bague et je la trouvai à la fin " : cette bague est symbole de pacte et d'alliance (connotation religieuse)
- " Je la mis dans la fosse auprès d'elle avec une petite croix "
- Fait faire une prière pour les morts et dire une messe (requiem)
Don José a en fait libéré sa conscience avec les rites de son ethnie (il en est conscient lorsqu'il dit " Peut-être ai-je eu tort " ligne 1728) alors que Carmen est restée fidèle à sa culture (voir lignes 1696 et suivantes) :
" Je pourrais bien encore te faire quelque mensonge ; mais je ne veux pas m'en donner la peine "

De plus, Carmen affirme son appartenance à son peuple en parlant d'elle à la troisième personne :
Lignes 1700 à 1701 : " Comme mon rom, tu as le droit de tuer ta romi ; mais Carmen sera toujours libre. Calli elle est née, calli elle mourra. "

Les deux protagonistes restent donc fidèles à eux-mêmes jusqu'au bout.


Conclusion :
Ce passage constitue un dénouement à part entière et donne toute sa force à la tragédie du destin de Carmen. Le lecteur peut s'étonner d'avoir à tourner la page pour lire un chapitre qui, si intéressant soit-il, ne peut être jugé que comme un supplément qui n'était pas indispensable. On restera avec le regard noir de Carmen comme l'a dit Louis Ernault en 1853 :
" On ferme le livre, et on voit encore ce grand œil noir mourant, à demi éteint, à la fois fixe et vague. "
Carmen morte entre dans la légende pour devenir un véritable mythe féminin.


 

Bilan : les personnages


ANALYSE  DES  CARACTERES.

DON  JOSE :

INTRO : un personnage ambigu, dont on découvre différents aspects dans la nouvelle ; une évolution négative.

I.                    Un honnête homme.

← naissance, famille noble ; éducation religieuse…cf. autoportrait.
← valeurs du travail, incessant ; choix de la carrière militaire, qu’on lui promet brillante.
← défend son honneur, par le duel (raison de son éloignement de sa région natale).
← naïveté, timidité ; aspect provincial.

II.                 Un homme honnête.

← même contrebandier, il respecte certaines valeurs :  « Je ne suis Egyptien que par hasard ; et pour certaines choses, je serai toujours franc Navarrais » ; Remendado ; refus du plan lâche de Carmen pour supprimer le Borgne.
← rapport avec le narrateur, gestes, attitudes, parole, confiance…
← volonté de changer de vie, lassitude ;
← se réfugie dans la religion, avant de tuer Carmen comme en prison.


III.               Un amoureux intransigeant.

← aveuglé par sa passion, une fois qu’elle est née ; « tout comme un homme ivre ». Accepte de changer ses valeurs, son mode de vie, son métier…
← quand il aime, aime passionnément ; fait tout pour Carmen, lui offre des cadeaux, accepte ses « conquêtes pour affaires »…
← a de plus en plus de mal à accepter la liberté de Carmen ; tue le lieutenant par accident, le Borgne de façon préméditée.
← refuse d’admettre l’incompatibilité entre « chien » et « loup » ; tue Carmen, qu’il aime pourtant profondément.

CCL : un personnage vertueux, qui rencontre le diable et est perverti par lui. Attachant, sincère et noble, de naissance et de cœur. La morale est sauve, les châtiments sont « mérités ». Mais l’amour aussi est sauf, puisque la passion n’est liée à la mort que pour s’idéaliser dans la survie.


CARMEN


INTRO : une femme mystérieuse, au cœur de la nouvelle éponyme. Un personnage entier.

I.                    Une Bohémienne.

← physique, vêtements.
← activité : bonne aventure, vol, travail … selon les opportunités.
← vie nomade ; sentiments volages.

II.                 Le diable.

← provocante, séductrice. Cherche à se faire remarquer ; attirée par ceux qui ne lui « rendent pas hommage ».
← use, et abuse, de son charme ; se fait entretenir. Joue avec les hommes.
← le dit elle-même ; prévient Don José, dont elle a senti la pureté…
← n’a pas peur de la mort.

III.               Une femme fragile.

← s’attache à Don José ; l’aime sincèrement ; est blessée par son intransigeance.
← a pressenti la fin
← revendique une liberté absolue

CCL : fière et hautaine, passionnée aussi ; en conflit avec les valeurs représentées par Don José, elle prend son parti de leur incompatibilité, mais refusera de céder à la peur, quitte à perdre sa vie.



II) L'opéra de Georges Bizet.


 Présentation de l'auteur


http://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Bizet

 Présentation de l'oeuvre & résumé du livret :


http://fr.wikipedia.org/wiki/Carmen_(op%C3%A9ra)


Extraits sonores :





Une particularité : la habanera   

http://fr.wikipedia.org/wiki/Habanera



SYNTHESE : L'Opéra, transposition ou adaptation de la nouvelle ?


Rq: Ce travail est celui d’un élève; seuls les passages entre crochets (introduction et conclusion en particulier) ont été modifiés.


                [A l’opéra qu’il compose en 1875, Georges Bizet donne le titre  Carmen, titre de la nouvelle écrite trente ans plus tôt par Prosper Mérimée. Il reprend donc le titre éponyme, qui place la jeune femme au centre de l’histoire, créant un effet d’attente pourtant un peu émoussé puisque l’histoire est connue par une partie du public, la nouvelle ayant connu un grand succès.
On peut donc se demander si l’œuvre du compositeur est une simple transposition dramatique, d’un texte écrit à une mise en scène musicale ; ou bien s’il s’agit d’une adaptation, avec les modifications personnelles qui en résultent et les conséquences par rapport à la portée de l’œuvre.]



Tout d’abord, il faut bien avouer qu’il y a un grand nombre de points communs. D’une part, l’endroit où se passe l’histoire est le même : Séville ; et d’autre part, l’ambiance espagnole est présente dans les deux œuvres. Par exemple, comme le narrateur [de la nouvelle] est un savant, il est intrigué par les coutumes de ce pays, s’informe et nous explique quelquefois celles-ci, comme [la valeur de l’échange d’un cigare ou les particularités de prononciation]. Et, dans l’opéra, cette ambiance est aussi très présente, notamment parce que cet opéra est réellement tourné dans le pays : il y a donc les paysages et vêtements qui concordent parfaitement ; de plus, les musiques sont tout à fait de la région et montrent très bien l’ambiance populaire qui règne en Espagne. Par exemple, avec la marche du Toréador, lorsque ce dernier entre dans l’arène, lors du prélude, ou les enchaînements lent-rapide des chansons de Carmen, typiques du pays, [ou encore le choix des instruments et des percussions en particuliers].
L’histoire est aussi la même : le brigadier Don José [rencontre] Carmen, la laisse s’échapper [quand il l’emmène en prison, après avoir dû l’arrêter à la manufacture de cigares, tombe amoureux au fur et à mesure de leurs rencontres, doit déserter suite à un meurtre] et la retrouve dans un repaire de contrebandiers. Puis, son désespoir se transformant en colère, il la poignarde lorsqu’elle aime [un toréador]. Cette ambiance tragique est donc aussi présente et l’histoire reste globalement la même.
Il faut [enfin] admettre que les personnages restent fidèles à eux-mêmes : on retrouve les mêmes, Don José et Carmen, et ils ont le même caractère. Carmen, par exemple, est toujours aussi effrontée, provocante : [par ses attitudes et ses paroles dans la nouvelle, comme lorsqu’elle se moque de l’épinglette de Don José lors de la première rencontre et qu’elle lui envoie une fleur de cassie entre les deux yeux ; ] par ses danses et ses chants enivrants[dans l’opéra], notamment dans le taverne. Et Don José reste impuissant face à elle, l’aimant et abandonnant tout pour elle. [ Bizet s’est donc largement inspiré du texte de Mérimée.]

Toutefois, il y a aussi des différences. [A commencer par le fait que ] le narrateur  [de la nouvelle], le savant, est enlevé [dans l’opéra] puisqu’il n’a plus d’utilité, et ce qu’on apprenait de lui  nous est appris par d’autres personnages [qui s’expriment au fur et à mesure des dialogues de l’opéra]. Il y a aussi des personnages rajoutés : comme Escamillo et Mickaëla. Escamillo est en fait Lucas [de la nouvelle] et, n’ayant plus de narrateur [à l’opéra], il prend plus d’importance que dans la nouvelle ; et Mickaëla est la fiancée de Don José par qui on apprend ses origines et ses qualités. De plus, il y a aussi les deux compagnes de Carmen, qui sont [très peu] présentes dans la nouvelle [où elles ne sont même pas individualisées et nommées, alors qu’elles sont très importantes dans l’opéra, où ] elles accentuent le côté tragique de l’histoire, lors de la scène des cartes où Carmen apprend sa mort, [scène qui est quasi inaugurale dans l’opéra, alors qu’elle n’est évoquée qu’a posteriori, à la fin de la nouvelle].
[Il y a donc aussi un traitement différent de la chronologie et] un déroulement plus rapide de l’histoire dans l’opéra puisque cela fait appel au visuel ainsi qu’à l’auditif. On a, par exemple, un contact direct avec les acteurs et on n’a plus besoin du narrateur, qui avait un rôle d’intermédiaire dans la nouvelle. Puis, il n’y a donc plus de pauses provoquées par les longues descriptions de celui-ci, [descriptions physiques de personnages, de paysages d’ambiances ou d’atmosphères], puisque dans l’opéra, c’est visuel donc beaucoup plus facile à comprendre et à voir. De plus, les musiques accentuent aussi les différents aspects : par exemple tragique lors de la scène des cartes où on apprend la future mort de Carmen, ou encore gaie lors de ses chansons bohémiennes à la taverne de Lillas Pastia.
Et enfin, l’histoire change un peu puisque Don José tue Carmen après qu’elle veuille rejoindre Escamillo à la suite d’une corrida et non, comme dans la nouvelle, après qu’il lui demande de l’accompagner dans le Nouveau Monde où elle refuse d’aller, lui annonçant son absence de sentiments. [ Il y a donc de sensibles différences entre les deux œuvres.]

[Et ces différences modifient considérablement la portée de chacune. Dans la nouvelle, la jalousie n’est pas le mobile du meurtre final ; il s’agit bien plutôt de la revendication de Carmen pour une liberté  absolue, liberté qui représente un danger pour Don José alors que Carmen lui lance « Tu ne m’aimes pas ». L’amour est alors pris au piège et s’abîme dans la mort, revendiquée par Don José comme l’apothéose de la passion. Mais l’œuvre de Mérimée est bien le témoignage d’une insurrection sociale.
Au contraire, Bizet  fait de cette histoire un drame de la jalousie. Les circonstances sont bien différentes, et le rôle, primordial dans l’opéra, joué par Escamillo le prouve bien. Don José tue Carmen à cause de lui ; pas d’elle-même. La portée de cet opéra est donc bien moindre.



 REMARQUE :
Dans l'opéra, l'image de la corrida dans la mort de Carmen est encore plus évidente, les librettistes introduisent en musique de fond une corrida où Lukas torée (plus évident encore dans le film de F.Rosi où le parallèle existe grâce au montage des images)
Le texte de Mérimée y est repris en une sorte de récitatif (ce n'est pas un chant)
Fin de l'opéra : " C'est moi qui l'ai tué, ma Carmen adorée ", cet oxymore qui met en relation à la fin Eros et Thanatos met en présence les deux principes symboliques de toute l’œuvre.
(voir le jugement de Wagner donné au début sur cette fin dans l'opéra).

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